Un tableau de Giambattista Crosato au Musée de Kiev
Les musées d'Ukraine, Kiev, Kharkov, Odessa, Lviv, possèdent un grand
nombre de tableaux italiens et français des XVII et XVIII siècle,
malheureusement rarement répertoriés et publiés. Pour une découverte —
le superbe L'argent versé, tableau de Georges de La Tour
découvert à Lviv — combien de tableaux importants restent non étudiés.
En obtenir des photographies n'est pas tâche aisée. Plusieurs projets
sont nés des deux voyages que nous avons pu effectuer grâce à l'ambassade
de France en Ukraine en 2001 puis 2002: une étude des principaux
tableaux italiens conservés en Ukraine; une exposition à Kiev des plus
beaux tableaux français XVII et XVIII siècle; une étude sur une
Résurrection de Lazare de Sébastien Bourdon conservée à la Galerie
des Beaux-Arts de Lviv. Mais ils ne pourront aboutir en raison de l'impossibilité
d'obtenir des documents photographiques. Le futur historien de l'art qui
prendra notre relais ne devra pas omettre de se rendre également dans
les musées de Sébastopol Sumy, Poltava, Zhytomyr...
Parmi ces musées, celui de Kiev est de loin le plus ambitieux et le
mieux entretenu: une sorte de petite Wallace Collection en terre d'Ukraine.
Les tableaux vénitiens conservés y sont nombreux, anonymes ou non (un
Saint Jérôme de Renier; Joseph et la veuve de Putiphar de
Gregorio Lazzarini; une belle copie de la Vision de saint Jérôme
de Johann Lyss; une Vénus et trois amours de Pietro Liberi; une
Vue de Venise de Michele Marieschi (?), une Femme tenant une
cage, accompagnée d'un jeune homme, qui pourrait être de Lorenzo
Tiepolo; un grand Saint Jean-Baptiste de Palma il Giovane; une
Sacra Conversazione de Marco Palmezzano...).
Parmi les oeuvres anonymes ou mal attribuées, une a plus
particulièrement retenu notre attention: une Adoration des mages
données de façon fallacieuse à Carlo Maratta;. Giuseppe Maria Pilo que
nous remercions vivement, interrogé par nous, y a reconnu une oeuvre de
Giambattista Crosato et nous a encouragé à la publier dans ces
Mélanges. Le tableau, d'un beau format (il mesure 1,60 en largeur et
1,30 en hauteur) peut être rapproché à notre avis d'un Mort de saint
Joseph (Monselice, église Santa Giustina), donné à Crosato par
Mariuz, réetudié récemment par G. Pavanello.
Des toiles de Crosato, très proches du point de vue du style de cette
Adoration des mages, le Miracle de l'ostie (Pordenone, Museo
Civico) ou La mort de saint Joseph (Budapest, collection
parti-culière) étaient données jusqu'à une date récente à E Bencovich
pour la première; à Giambattista Pittoni, ou à Giambettino Cignaroli
pour la seconde; les dates: après 1730; ou vers 1740; ou fin de la
carrière de l'artiste; sont tour à tour prononcées, de même que le
climat de Mazzoni, de Magnasco, de Tiepolo, de Maulbertsch et de
Bencovich tardif est souligné. C'est dire tout le courant d'émulation
qui existe en Vénétie et en Italie du Nord à cette époque. La superbe
Adoration des mages du Musée de Kiev e la Mort de saint Joseph
de Monselice présentent les mêmes caractéristiques stylistiques: gestes
emphatiques et ostentatoires, utilisation de sotto in su, mimique de
ballet, les précieux effets luministes et chromatiques qui font émerger
de l'ombre, "in un baluginare corrusco" (Pavanello), tel vase, tel
turban, tel tissu. L'esprit des oeuvres de jeunesse de Tiepolo, "arguto
e grazioso al contempo"; est présent dans cette Adoration des
mages. Proportion des pleins et des vides, vigoureux contrastes
d'ombre et de lumière, oppositions entre attitudes dynamiques ou plus
stables (la Vierge tenant l'Enfant) révèlent le savoir-faire dans le
domaine de la composition. Nous eussions aimé comparer cette
Adoration des mages avec celle que possédait la comtesse Toesca
Pochintesta à Turin', mais il ne nous a pas été possible d'en obtenir
une reproduction. Quant à la datation de la toile de Kiev, nous nous
rangeons à l'avis des spécialistes qui datent le tableau de Monselice
vers 1740.